Un coeur pur

Publié le par Xuan VINCENT

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La nouvelle s’était répandue tel le téléphone arabe au sein de la bande. Fabiola, un jour où elle ne supportait plus de se voir envahie par les livres, avait décidé de se séparer d’une bonne partie des ouvrages qui avaient jalonné son existence et fini par encombrer son petit appartement. Un samedi de juin, elle organisa une grande fête dans le parc de son quartier, où chacun était invité à choisir les livres avaient jalonné son existence et fini par encombrer son petit appartement. Un samedi de juin, elle organisa une grande fête dans le parc de son quartier, où chacun était invité à choisir les livres qui lui plaisaient.

Nombreux repartirent avec plusieurs ouvrages, qui avaient marqué leur jeunesse ou un jour voulu découvrir... Des passants, intrigués par cet étalage insolite, s’arrêtèrent à l’étal improvisé garni d’une profusion d’écrits en tous genres et poursuivirent leur route, emportant avec eux un ou plusieurs ouvrages qui avaient attiré leur regard. A la satisfaction de Fabiola, heureuse d’être allégée d’autant de livres et de faire le bonheur d’autres personnes. A plusieurs reprises, une personne tomba sur un livre dédicacé, certaines, voyant qu’il était chargé d’une histoire personnelle lui demandèrent si elle voulait bien s’en défaire. Son envie de se séparer de sa trop volumineuse bibliothèque était telle qu’à chaque fois elle fit comprendre à son interlocuteur, ami de plus ou moins longue date ou simple passant, que cela lui était égal et l’encourageait à repartir avec l’ouvrage dédicacé.

 

La journée tirait vers sa fin et bientôt le parc allait refermer ses portes. Les quelque huit cents livres disposés sur un étal ou rangés dans des caisses en carton s’étaient réduits à peau de chagrin. Tout au plus en restait-il à vue d’œil environ deux cents, qu’elle pensait déposer dans la rue le lendemain matin, dans l’espoir que des passants en prendraient encore quelques-uns et échapperaient ainsi à la collecte des éboueurs. Au fur et à mesure que ses ouvrages disparaissaient, Fabiola se disait qu’elle allait enfin bientôt pouvoir respirer davantage dans son appartement. Il y a encore peu, jamais elle n’aurait pensé être capable de se séparer d’un seul de ses écrits, chacun d’entre eux lui rappelant une période de sa jeunesse, voilà qui était fait !

 

- « Les hauts de Hurlevent », mon livre préféré ! D’une ancienne collection de plus… Je peux le prendre, madame ?

- Avec plaisir, monsieur. Il me vient d’une grand-tante, c’est un de mes romans favoris mais aujourd’hui je veux faire le ménage dans ma bibliothèque !

 

Le passant, un homme à l’allure distinguée dans la soixantaine, manifestement féru de lectures, attiré par la qualité des ouvrages, en avait déjà feuilleté méthodiquement un bon nombre, sans hâte. Soudain, son visage s’éclaira et il s’exclama :

 

- Il y a une photo dans ce livre… Quel visage angélique, j’aimerais l’avoir pour faire le portrait de ce jeune homme !

- Si cela ne vous dérange pas, prenez le livre, monsieur, mais j’aimerais garder la photo. C’est celle d’un ami qui m’est cher.

- Je comprends, dommage, j’aurais bien voulu l’emporter… Je suis peintre et j’ai rarement vu une telle expression de pureté se dégager d’un visage… Pourrais-je vous l’emprunter un moment ?

- Je ne sais pas, laissez-moi le temps de réfléchir… Je dois tout d’abord remballer tous les livres dont je n’ai pas pu aujourd’hui me défaire…

- Je ne suis pas pressé, madame. Voici ma carte de visite. Je suis Xavier Derrien, peintre. N’hésitez pas à me contacter, je suis prêt à vous donner un bon prix pour cette photo.

- L’amitié n’a pas de prix, Monsieur. Il m’est impossible de me séparer de cette photo. Au revoir.

 

 

La jeune femme, quelque peu agacée par le ton pressant du vieil homme, prononça ces derniers mots sur un ton qui signifiait que la discussion était close. L’homme passa son chemin, quelque peu dépité mais gardant l’espoir de réussir à mettre la main sur cette photo qui l’avait tant touché. Le roman, qui l’avait pourtant fait vibrer lorsqu’il était encore un adolescent sensible aux traits délicats, très loin de l’homme désabusé qu’il était devenu, était bien fade à côté du cliché qui lui était passé sous le nez. Cette photo, dont la signature au bas du document indiquait la marque d’un photographe qui avait su capter la beauté fascinante de cet adolescent, il fallait qu’il l’obtienne, de gré ou de force ! Elle lui rappelait sa jeunesse perdue, sa beauté qui s’en était allée irrémédiablement.

 

 (...)

 

Publié dans Sentimental

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